COMPTE-RENDU – Tugan Sokhiev revient à la Halle aux Grains de Toulouse. Il n’est cette fois-ci pas à la tête de l’orchestre résident (il faudra attendre le 12 mars pour cela), dont il fut directeur musical pendant plus de quinze ans mais de l’Orchestre de Chambre Mahler, invité dans le cadre de la saison des « Grands Interprètes » et en compagnie du violoncelliste Kian Soltani.
Orchestre en tournée, chef en retrouvailles
Si de grandes retrouvailles s’annoncent, d’autres sont donc déjà bien en chemin : les interprètes de la soirée maitrisent tous le programme car ils l’ont déjà interprété ensemble dans les jours précédents à l’occasion d’une courte tournée en Allemagne. Cela s’entend. Tout est parfaitement contrôlé et millimétré ! Il comprend trois œuvres au tournant des XIXème et XXème siècle, caractérisées par une vaste orchestration : Prélude à l’après-midi d’un faune (qui cherche de nouvelles trouvailles amoureuses) de Debussy, le Concerto pour violoncelle de Dvorak et des extraits des suites du Roméo et Juliette de Prokofiev (aux retrouvailles tragiques). Une retrouvaille aussi pour certains auditeurs : les plus assidus de la Halle aux Grains avaient déjà pu les entendre il n’y a même pas deux semaines, interprétés alors par l’Orchestre National du Capitole. Pas de redite toutefois car en plus de l’interprétation, la sélection diffère aussi en partie entre les deux concerts. On se concentre ici sur la deuxième suite donnée intégralement et dans son ordre initial puis sur deux fragments de la première (Masques et la Mort de Tybalt).
À Lire également : Le chef d’orchestre Tugan Sokhiev démissionne de ses fonctions à Toulouse et au Bolchoï
Le chef et l’orchestre au diapason
La direction de Tugan Sokhiev, sans baguette, parait fusionnelle avec l’orchestre. Comme un magicien, chaque geste est une trouvaille, parfois un simple regard ou hochement de tête semble produire une incidence précise : sur un effet, la progression d’une nuance, une transition… Il s’illustre par son sens de l’équilibre des sons, réglant chaque pupitre au décibel près. Cela est rendu possible grâce à la qualité des musiciens de l’Orchestre de Chambre Mahler, dont le coup d’archet démontre une cohésion infaillible. Tugan Sokhiev déploie la puissance de son orchestre avec un volume global élevé, scotchant parfois le public à son fauteuil sous l’effet de la musique. Cela permet de souligner les contrastes (comme au début du Montaigus et Capulets entre les cuivres et percussions fortissimo et les cordes ou encore les percées des lances glaçantes au final du concerto) ainsi que l’accompagnement du soliste dans ses passages les plus lyriques. L’orchestre lui apporte ainsi son soutien par sa présence et la régularité de ses motifs, tout en le laissant au premier plan se faisant parfois quasiment imperceptible si la concentration se porte sur le violoncelliste. Le jeu de Kian Soltani est plutôt lyrique, notamment quand il reprend les motifs de l’orchestre et les interprètes avec plus de langueur. Sa gestuelle traduit son engagement. Sa sensibilité se révèle dans l’utilisation pertinente du vibrato et la modulation des volumes. Elle s’affirme certainement encore plus dans le rappel qu’il vient annoncer souriant dans un français impeccable après déjà plusieurs vagues d’applaudissements. Il s’agit de Laisse-moi seul dans mes rêves, qu’il a réarrangé lui-même et qui serait la chanson préférée de l’amour de jeunesse de Dvorak. Le jeu est encore plus pur et plus raffiné que pendant le concerto. Il est accompagné par les violoncellistes et un contrebassiste de l’orchestre.
De Debussy à Prokofiev : de l’amour imaginaire à la passion dévorante
Tugan Sokhiev exploite surtout le potentiel symphonique des suites de Roméo et Juliette. Il se focalise sur les harmonies, la netteté rythmique, la qualité des textures et la pureté du son, quitte à délaisser quelque peu l’aspect dramatique de cette musique de ballet (surtout comparé au concert précité). La mort de Tybalt s’accélère dans un rythme effréné pour se terminer avec une puissance finale magistrale. Les cordes et les cuivres plongent le début la scène du tombeau une ambiance inquiétante. Les coups de grosse caisse sonnent tels le glas et s’opposent aux aigus des cordes spirituelles. Le Prélude à l’après-midi d’un faune révèle par contre son inspiration poétique (églogue de Stéphane Mallarmé). Il charme l’auditeur bercé dans le monde bucolique dès la première mesure du solo de flûte (et impeccablement repris tout au long de la partition). Dans une belle densité d’ensemble, les motifs plongent progressivement le public dans les images oniriques : les différentes trouvailles et retrouvailles de ce concert mènent ainsi le public dans des univers, très divers mais comme connus et reconnus, en songes et en sons. Longuement applaudis et acclamés, l’orchestre et le chef replongent en bis dans l’univers de Roméo et Juliette, l’occasion pour Tugan Sokhiev de réaffirmer sa complicité avec les auditeurs toulousains en finissant de diriger face au public : droit vers les retrouvailles.